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C'est que du politique
15 septembre 2015

Des Tchéchènes en Ukraine

Il est évident que la question ukrainienne ne concerne pas que les Ukrainiens, et cela depuis longtemps. Mais on ne se rend compte de l'importance de l'impact du facteur étranger sur ce conflit que lorsque que même des Tchétchènes, et plus largement des citoyens russes du Caucase du Nord se trouvent impliqués sur place... dans les deux camps. Bien sûr, il ne faut se laisser prendre au sensationnalisme prisé par certains géopoliticiens de salon, nous parlant de l'espace post-soviétique avec l'aplomb de ceux qui n'y vont plus beaucoup. À propos des Tchétchènes pro-russes, pour l'instant le chiffre le plus probable est de 500 combattants. Du côté des soutiens de Kiev, il suffit de se rappeler que le fameux bataillon "Dzhokhar Dudayev", du nom du premier président tchétchène, n'a en fait que 17% à 25% de ses 200 membres qui sont effectivement ethniquement des Tchétchènes. Mais ils apportent avec eux, le plus souvent, presque deux décennies d'expérience militaire. Les Tchétchènes pro-Kiev ont été très utiles pour perturber les lignes de ravitaillement des séparatistes. Et sans les Tchétchènes pro-russes, certaines des plus belles victoires des rebelles au pouvoir central, comme la prise de l'aéroport de Donetsk début 2015, n'auraient pas été possibles. Il ne serait donc pas superflu de comprendre les raisons d'une telle implication de Caucasiens du Nord aussi loin de chez eux... Du côté des indépendantistes tchétchènes, en fait, il s'agit d'une longue histoire d'amitié avec les nationalistes ukrainiens, et d'un positionnement idéologique logique de leur point de vue. L'UNA-UNSO (Assemblée nationale ukrainienne - Autodéfense ukrainienne), aujourd'hui intégré au parti de droite dure Secteur droit a été un soutien non-négligeable pour les rebelles dans le Caucase du Nord en 1994/1995. Des volontaires de ce groupe ont même formé une "Brigade Viking" (à peu près 200 hommes) pour combattre sur place et aider à la formation militaire des Tchétchènes. Nationalistes ukrainiens et tchétchènes sont devenus des compagnons d'armes, et il existe une dette de sang entre eux, des Ukrainiens étant mort au combat pour l'indépendance tchétchène. Certes, au delà du nationalisme, les deux nations n'ont pas beaucoup de points communs... si ce n'est une haine viscérale de la Russie en tant que grande puissance. Bien des Tchétchènes l'ont compris dans les années 1990: se limiter à la lutte pour l'indépendance de leur seul territoire n'est pas suffisant pour les rendre assez forts face à Moscou. Le contrôle de leur territoire n'est possible qu'avec des alliés, et l'affaiblissement de la Russie. Cette logique a rendu la rhétorique autour d'un "djihad" pour la "libération" de l'ensemble du Caucase du Nord nécessaire, en tout cas pour ceux qu'une évolution vers l'islamisme radical ne gênait pas. Mais cette formule elle-même trouve ses limites aujourd'hui: si Moscou n'a pas réussi à vaincre la rébellion de l'"Émirat du Caucase", ce dernier n'a pas réussi à s'imposer; le choix djihadiste a transformé d'anciens indépendantistes en pro-Russes, et a en partie marginalisé les séparatistes qui refusaient l'exploitation de la religion par une idéologie politique profondément étrangère à l'islam du Caucase. Il est de notoriété publique que le fondateur du bataillon Dudayev, Isa Munayev (mort au combat en Ukraine), pourtant nationaliste convaincu, a pris ses distances avec le leadership tchétchène combattant sur place quand ce dernier a décidé de se présenter comme l'Émirat islamique du Caucase, se ralliant à l'idéologie djihadiste. Quant au leader actuel du bataillon, Adam Osmayev, il présente sa vision, et son combat ultime, comme un challenge pour deux idéologies qu'il considère comme ses ennemies: le nationalisme russe mais aussi le jihadisme transnational. Cette lutte en Ukraine, c'est l'occasion pour les nationalistes non-djihadistes, souvent exilés en Europe, de reprendre la main pour la conquête des cœurs et des esprits du côté de la rébellion anti-russe. Une reconquête qui devrait, de leur point de vue, aider à bloquer le recrutement de Tchétchènes et autres Caucasiens du Nord par Daesh. Et réorienter cette jeune génération vers un combat direct contre Moscou. On sait qu'il y a également des Tchétchènes, et des Caucasiens du Nord en général, combattant du côté des pro-russes/pro-séparatistes ukrainiens. Qui sont-ils et que représentent-ils? Bien entendu, les Tchétchènes pro-russes viennent combattre en Ukraine avec la bénédiction du leader de leur territoire, Ramzan Kadyrov. En décembre 2014, ce dernier a, après tout, tenu un discours public, devant les représentants de l'ordre en Tchétchénie, dans lequel il leur disait ouvertement qu'ils devaient se considérer comme "l'infanterie de Vladimir Poutine", mobilisable en Russie mais aussi au-delà. Des centres de recrutement de volontaires pour soutenir les séparatistes d'Ukraine auraient été actifs en Grozny et ailleurs. Mais pour des Tchétchènes faisant partie des forces de sécurité pro-Kadyrov, qui ont fait le choix, après la seconde guerre de Tchétchénie de 1999, d'abandonner l'indépendantisme pour le soutien au rattachement à la Fédération de Russie, on peut considérer qu'un tel engagement va de soi. Pour Ramzan Kadyrov comme pour ceux qui le soutiennent, leur sort est lié à une Russie forte se maintenant dans le Caucase du Nord et au-delà, comme une grande puissance. Si le Kremlin s'affaiblit, cela pourrait avoir des répercussions, fatales pour eux, sur le territoire qu'ils contrôlent.

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