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C'est que du politique
23 août 2016

Le super boss

Dans un genre soumis à une sérieuse concurrence, le prétendant au titre du “tweet business” le plus absurde de l’année sera certainement celui du World Economic Forum (WEF) et son “14 choses que les gens qui réussissent font avant le petit-déjeuner”. Ils se lèvent avec les poules, affirme l’article vanté par ce tweet. Ils font de l’exercice, comme des fous. Ils consacrent du temps à “leur passion personnelle” (car “écrire un roman et pratiquer un art sont des tâches faciles à éviter le soir après une journée passée dans des réunions”). Ils se connectent à leur conjoint(e). (“Qu’y a-t-il de meilleur que du sexe avant l’aube pour faire le plein d’énergie pour toute la journée??”). Ils font leur lit (action supposément associée à une augmentation de la productivité). Ils consacrent du temps ‘de qualité’ à leur famille. Ils entretiennent leur réseau en prenant leur café. Ils méditent pour se libérer l’esprit. Et ainsi de suite. Mais ils trouvent encore le temps de travailler sur des dossiers professionnels importants. Le tweet a rapidement été noyé de commentaires le tournant en ridicule. Une personne a commenté que le tout représentait l’emploi du temps d’un mois très chargé pour lui. Une autre a remarqué que les “gens qui réussissent” ne semblaient pas prendre de douche ou s’habiller. Il a beau être absurde, le tweet du WEF souligne un phénomène bien réel?: un culte grandissant de la performance extrême dans les cercles qui fréquentent Davos. Dans le monde pré-industriel, les élites respectaient les codes d’une oisiveté affichée. À l’ère du capitalisme de gentlemen, ils furent remplacés par les codes d’une supériorité atteinte sans effort. Les codes actuels parlent tous d’une supériorité tirée de l’effort?: ceux qui réussissent méritent leur réussite, car ils montent sur le tapis roulant et transpirent. Ceux qui réussissent accordent une grande importance au fait de se lever tôt. Laura Vanderkam, une “experte en gestion du temps” qui a inspiré le tweet du WEF, assure que sur un échantillon aléatoire de 20 dirigeants, 90?% se lèvent avant 6?heures du matin les jours de semaine. Brett Yormak, le patron de l’équipe de basket les Brooklyn Nets, se lèverait à 3?h?30 du matin. Et Indra Nooyi, CEO de PepsiCo, à 4?heures. Bob Iger de Disney serait debout à 4?h?30. Tandis que Jack Dorsey traîne apparemment au lit jusqu’à 5?h?30, alors qu’il dirige deux entreprises, Twitter et Square. Votre rédacteur a un jour pris un petit-déjeuner à 7?heures du matin avec Michael Milken, l’inventeur des junk bonds. Quand on a proposé à ce dernier un petit pain au sucre, M.?Milken a refusé car, a-t-il expliqué, “j’ai déjà pris un pré-petit-déjeuner avec un prix Nobel”. “Il a beau être absurde, le tweet du WEF souligne un phénomène bien réel?: un culte grandissant de la performance extrême dans les cercles qui fréquentent Davos” La levée aux aurores est suivie d’une débauche d’exercices physiques. David Cush, le CEO de Virgin America, est sur son vélo d’appartement au saut du lit, à 4?h?15. Tim Cook d’Apple entre dans sa salle de sport à 5?heures. Aussi épuisante que soit la séance, elle est souvent assortie d’autres activités. M.?Cush lit, passe des coups de téléphone et écoute une station de radio consacrée au sport en pédalant. M.?Iger a un jour confié au ‘New York Times’ que tout en s’entraînant, “je lis mes e-mails. Je surfe sur le web. Je regarde une petite télévision, le tout en même temps”. Et en écoutant de la musique. Un nombre frappant de patrons va encore plus loin et se met avec dévotion aux sports extrêmes. John Rost, le président de Fiesta Insurance Franchise Corporation, a escaladé les plus hautes cimes de sept continents – la série des “sept sommets”. Rick Davidson, de la chaîne d’agences immobilières Century 21, passe son temps libre à faire de l’alpinisme, du parachutisme et de la plongée sous-marine?; il participe en outre à des courses de stock-cars et pilote des avions de chasse. Sir Rocco Forte, de la chaîne d’hôtels Forte Hotels, et Michael Johnson des compléments alimentaires Herbalife, sont parmi les dirigeants qui participent régulièrement aux “Challenges des CEO”, où ils testent les limites de leur force physique en enchaînant triathlons et courses de plus de cent kilomètres en VTT de montagne. Ce culte de l’hyper-performance est entretenu par une armée toujours plus fournie d’entraîneurs sportifs personnels et de professeurs de yoga qui gagnent leur vie en déstressant et en peaufinant la forme physique des grands noms des affaires. Parmi eux, Ursula Burns, la CEO de Xerox, qui a rendez-vous avec son coach pour s’entraîner deux fois par semaine à 6?heures du matin. Les magazines pour hommes d’affaires regorgent d’articles sur les méthodes d’entraînement des unités spéciales, comme les Navy Seals, les marines américains, ou sur comment atteindre la “cognitive fitness”, ou forme intellectuelle. Les business schools et les académies internes des grands groupes rivalisent en équipements sportifs les plus chers. La nouvelle salle de sport du cabinet de consultants Deloitte, près de Dallas au Texas, a coûté 300?millions de dollars et couvre 1,1 hectare. Les cours y commencent dès l’aube. Le fabricant de logiciels SAS a mis en place un programme de 90 jours consacré au “leadership et à l’énergie pour la performance” pour ses cadres ambitieux. Les médicaments de la performance Le culte de la super-performance est maintenant en train de franchir des frontières plus contestables. Au mépris de la vie privée, certaines entreprises équipent de façon expérimentale leurs employés d’appareils portables pour surveiller leurs fonctions vitales. Un fournisseur de ces systèmes de surveillance, Peak Health, compte parmi ses clients Goldman Sachs, Bank of America et plusieurs fonds spéculatifs. Par ailleurs, selon un PDG, plusieurs de ses confrères s’essayent désormais à la consommation de médicaments qui augmentent les performances cérébrales, tels que Modafinil et Ritalin, qui améliorent la concentration. Cette tendance devrait s’intensifier?: des études conduites auprès des étudiants dans les universités américaines indiquent qu’un étudiant sur six prend des médicaments stimulants pour le cerveau durant les périodes d’examens, une habitude qu’ils pourraient conserver au cours de leur future carrière. Une fois de plus, les cercles des affaires copient les sphères sportives et militaires. Dans le monde du sport, les équipes utilisent de façon routinière des capteurs biométriques pour contrôler leurs champions (et des médicaments à l’occasion pour améliorer leurs performances). Les forces armées américaines expérimentent quant à elle les “go pills” – les pilules “qui font avancer” – qui permettent aux soldats de fonctionner pendant de longues périodes sans sommeil. “Au mépris de la vie privée, certaines entreprises équipent de façon expérimentale leurs employés d’appareils portables pour surveiller leurs fonctions vitales” Il est temps de mettre le holà à toute cette hyper-activité avant qu’elle n’échappe à tout contrôle. De lourdes responsabilités pèsent sur les épaules de nombreux patrons, c’est indéniable. Mais les décisions qu’ils prendront seront-elles meilleures s’ils arrivent au travail épuisés et en manque de sommeil?? Faire le tour de l’horloge en travaillant est probablement le signe que vous êtes incapable de déléguer, et non que vous êtes un héros invincible. Le ‘multitasking’ frénétique – surfer sur le web tout en regardant la télévision tout en écoutant de la musique – est une recette pour dissiper son attention, et non pour bien gérer. Les dirigeants qui se voient comme des surhommes ou des surfemmes peuvent affaiblir leur entreprise. Comme le gourou du management Peter Drucker l’avait un jour remarqué, “il est impossible à une organisation de survivre s’il faut des génies ou des surhommes pour la diriger. Elle doit être organisée de façon à pouvoir fonctionner avec une équipe dirigeante composée d’êtres humains ordinaires”.

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